Depuis toute petite, Françoise n’aimait pas cette chanson.

Quand elle avait 3 ans et que ses parents la passaient sur le tourne-disque, elle entrait dans une colère noire, tapait des pieds et des mains, criait  “NON, NON, NON !”.

En grandissant, elle la détestait toujours autant et refusait d’écouter ne serait-ce que cinq secondes de cette chanson.

Non, vraiment, Petit Papa Noël, ce n’était vraiment pas possible !

Tino Rossi au cachot !

Tous les ans, en décembre, elle devait subir cette chanson partout : dans les magasins, à la télé, à la radio… Alors cette année-là, elle avait décidé d’être radicale. Plus personne n’avait l’autorisation de passer cette chanson en sa présence. Pour ne pas prendre de risques, plus de sorties dans les magasins, toutes les courses furent faites en ligne. Toutes les télés et toutes les radios débranchées. Interdiction de jouer de la musique quelque soit le moyen, dans toute la maison.

Parfois pour l’embêter, ses enfants commençaient discrètement à chanter : “Petiiiiit papaaaaa Nooo….” Françoise ne se laissait pas faire et les coupait immédiatement : “ CA SUFFIT MAINTENANT.”

Le soir du réveillon de Noël, elle était heureuse de pouvoir affirmer qu’elle n’avait pas entendu une seule fois Tino Rossi chanter Petit Papa Noël cette année.

Assise dans un gros fauteuil au pied du sapin, une tisane chaude dans une main et un bon livre dans l’autre, Françoise se préparait à vivre un réveillon de noël agréable.

Soudain, un petit bruit lui fit lever la tête :  ce n’était pas un chant, juste une petite mélodie aiguë qui s’échappait de quelque part au cœur du sapin. C’était léger, mais elle en était sûre, c’était l’air qu’elle ne voulait absolument pas entendre, Petit Papa Noël ! Elle posa sa tasse et son livre et en instant elle était devant son sapin, à chercher d’où venait le bruit. Elle trouva le coupable en soulevant une guirlande touffue. Une petite figurine de lutin clignotait et laissait s’échapper le petit air détesté. Françoise sortit le lutin du sapin et éteignit la musique en appuyant sur le bouton dans le dos de la figurine.

A peine s’était-elle rassise qu’une nouvelle fois la chanson se mit à retentir. Cette fois-ci, elle sortait du tiroir de la commode. Françoise bondit vers le meuble, ouvrit le tiroir et découvrit une petite radio à piles. Cette radio s’était allumée on ne sait comment et jouait Petit Papa Noël ! Elle tourna le bouton pour éteindre la radio, puis retira les piles pour faire bonne mesure.

Cette fois-ci, elle n’eut pas le temps de s’asseoir que la voix de Tino Rossi retentit de nouveau dans le salon. La chanson jouait sur l’ordinateur portable ouvert sur la table ! A la seconde ou Françoise referma l’ordinateur pour le faire taire, le visage du chanteur apparut sur l’écran de télévision, chantant Petit Papa Noël à son public.

“Mais comment est-ce possible ? Elle était débranchée !”

Françoise se tenait là, effrayée, quand sans prévenir tous les appareils de la maison se mirent à jouer Petit Papa Noël. Même les appareils qu’elle venait d’éteindre se rallumèrent soudain et participèrent à la cacophonie monstrueuse qui l’entourait. Terrorisée, Françoise restait figée, les mains sur les oreilles, au beau milieu des décorations du réveillon.

Elle tourna la tête vers le sapin et vit le lutin qu’elle avait ramassé plus tôt. La petite figurine s’était remise debout comme par magie et se déplaçait vers elle, les yeux brillants. Françoise essaya de s’enfuir  vers la porte mais celle-ci était barrée de guirlandes géantes qui l’empêchaient de partir. Le lutin était arrivé jusqu’à elle. Du haut de sa toute petite taille, il la toisa de haut en bas avant de prononcer d’une voix sombre :

“PERSONNE N’ARRÊTE L’ESPRIT DE NOËL. »

Tombée au sol, assise au pied de la porte, Françoise dû écouter la chanson de Tino Rossi en entier trois fois de suite avant que le cauchemar ne se finisse. Une fois toute trace de magie et du lutin diabolique disparue, les enfants de Françoise entrèrent dans la maison et préparèrent le réveillon.

Depuis ce jour, lorsque Françoise entend la chanson Petit Papa Noël, elle ne crie plus et ne cherche plus à l’empêcher.

Mais au fond d’elle, elle le sait.

Cette chanson n’est pas festive, cette chanson est une malédiction.