C’était son musée préféré. Ce n’était pas un musée qui présentait de belles œuvres d’art, de grands tableaux de maître ou des fresques murales géantes. C’était un petit musée qui exposait des plantes et des animaux des anciens temps. Alors oui, ce n’était pas des animaux vivants. Mais il y avait une bonne raison pour cela. Ce musée présentait des animaux qui avaient disparus de nos jours. D’immenses ossements de dinosaures, des représentations d’oiseaux dont l’espèce était désormais éteinte, des jardinières entières d’herbes qui avaient été utilisées dans un autre temps… Elle était fascinée par tout cela.
Alors, quand elle avait grandi et qu’elle avait dû trouver du travail, elle avait tout fait pour être embauchée là-bas. Elle avait même accepté de travailler de nuit. Mais cela ne la dérangeait pas.
La nuit, elle gardait le musée et cela lui permettait de l’avoir pour elle toute seule. Elle parcourait les allées sous la lumière de la lune, avec son seul reflet apparaissant dans les vitrines qui exposaient des ossements de dodos, de lynx tachetés ou de rongeurs inconnus. Elle traversait les salles immenses dans lesquelles trônaient les squelettes géants de brachiosaures ou de tyrannosaures. Tout cela sans que personne ne puisse la déranger. Comme il n’y avait pas de bijoux ou de tableaux hors de prix dans ces collections, elle n’avait pas peur des voleurs qui pourraient tenter de s’introduire dans le musée la nuit. Mais elle devait tout de même veiller sur toutes les merveilles présentes dans le bâtiment.
Cette nuit-là, elle traversait comme à son habitude les allées faiblement éclairées. La seule chose troublant le silence était le bruit de ses pas faisant grincer le lourd parquet de chêne.
Crouic, crouic, crouic, le long de l’exposition des crânes de félins disparus.
Crouic, crouic, crouic, en passant à côté des squelettes géants de dinosaures.
Crouic, crouic, crouic, quand elle avançait dans la volière des oiseaux éteints.
Crouic, crouic, crouic, dans la serre des plantes d’autrefois.
La elle s’arrêta un moment pour admirer la rosée naissante sur les herbes méconnues. Une brise fraîche passait le long des jardinières et apportait l’air humide de la fin de la nuit.
Crouic, crouic, crouic.
Elle leva la tête. Elle n’avait pas bougé mais était sûre d’avoir entendu des pas. Elle resta immobile un long moment, mais le bruit ne se fit plus entendre. Elle allait repartir, pensant qu’elle devait avoir rêvé, quand un détail l’arrêta de nouveau. D’où venait donc la brise qu’elle sentait près des jardinières ? Alors qu’elle regardait tout autour d’elle en cherchant la fenêtre qui avait dû rester ouverte, elle entendit de nouveau :
Crouic, crouic, crouic.
Maintenant elle en était sûre, cela venait de derrière elle. Mais elle avait bien vérifié toutes les salles, il n’y avait personne d’autre qu’elle dans tout le musée ! Et personne d’autre n’avait les clés de cette pièce. Mais ce n’était pas cela qui l’inquiétait le plus. Les pas venaient de derrière elle. Mais il n’y avait aucune porte ou fenêtre derrière elle, juste un squelette humain qui servait à montrer le nom de tous les os et une vitrine présentant le squelette d’un fauve dont l’espèce, désormais éteinte, était reconnue pour sa férocité.
Crouic, crouic, crouic.
Les pas se rapprochaient. Elle n’osait pas se retourner. Et si le squelette de fauve de la vitrine avait pris vie ? Et s’il n’était pas heureux de se retrouver là, sous verre, exposé aux visiteurs ? Et s’il voulait l’attaquer ? Elle ferma les yeux, pétrifiée.
Crouic, crouic, crouic. Elle pouvait sentir une présence derrière elle, dans son dos.
Crouic, crouic, crouic. Il lui sembla sentir un souffle chaud contre sa nuque.
Elle laissa échapper un petit cri, toujours trop effrayée pour bouger.
Crouic, crouic, crouic. Le bruit des pas sembla passer à côté d’elle et la dépasser.
Crouic, crouic, crouic. Le bruit des pas s’éloigna vers la porte.
Crouic, crouic, crouic. La présence mystérieuse sembla sortir de la pièce.
Elle resta un long moment sans bouger, les yeux fermés. Quand elle arrêta de trembler, elle ouvrit lentement les yeux. L’aube commençait à pointer à travers les fenêtres du musée. Rassurée par la lumière, elle décida de se retourner lentement.
La vitrine du fauve était bien là, les ossements du fauve aussi.
Le squelette humain, lui, avait disparu.