Dans le grimoire

Elle avait hérité ce grimoire de sa mère, qui l’avait hérité elle-même de sa grand-mère. Cela faisait plusieurs centaines d’années que les sorcières de sa famille complétaient ce grimoire petit à petit et le passaient de générations en générations. L’ouvrage était conséquent et elle en connaissait une bonne partie par cœur, mais il en restait toujours quelques pages à découvrir.

Un jour, alors qu’elle cherchait dans le grimoire la fameuse recette de soupe à la grimace et au crapaud de sa grand-mère, elle tomba sur deux pages collées ensemble. Curieuse, la jeune sorcière les détacha soigneusement. Elle n’avait jamais vu ces pages auparavant !

Sur la page de gauche, un ensemble de signes magiques étaient présentés. Sur la page de droite, un sort dans une langue inconnue. Les sorts dans une langue inconnue étaient nombreux dans le grimoire, mais généralement il y avait toujours une explication ou une traduction notée à côté pour que l’on sache de quoi il s’agissait. Ici il n’y avait rien de tel.

Un sort inconnu ! Quel mystère ! A quoi pouvait-il bien servir ?

Elle ne pouvait pas juste le lancer pour voir de quoi il s’agissait, c’était bien trop dangereux. Le sort avait été scellé dans le grimoire, il devait s’agir d’un sort si puissant qu’il ne devait pas être mis entre les mains de n’importe qui. Lancer ce sort à l‘aveugle allait peut-être invoquer de puissants démons, ou pire, raser toute la région ! Elle devait en savoir plus. Elle devait découvrir à quoi servait ce sort à tout prix.

Elle passa des heures à éplucher tous les ouvrages de sa bibliothèque pour trouver un indice. Elle examina tous les sigles magiques connus pour les comparer à ceux qu’elle avait découverts. Elle tenta de trouver la traduction du langage oublié. Elle utilisa toutes les méthodes de divination connues pour trouver ses réponses, en vain.

Un soir, fatiguée de toutes ses recherches et ne sachant plus vers quoi se tourner pour trouver des indices, elle s’installa dans la bibliothèque. Elle plaça le grimoire devant elle, la page ouverte sur le sort inconnu.

“A quoi peux tu bien servir ?” murmura t’elle. Elle suivit du doigt les signes magiques sur la page, comme si cela pouvait l’aider à les déchiffrer. Quand son doigt arriva en bout de course et se détacha de la dernière volute du dernier signe, elle sentit un courant d’air traverser la bibliothèque et soulever ses cheveux. Elle leva la tête vers la fenêtre, mais elle était bien fermée. Quand son regard se posa de nouveau sur le livre, les signes sur la page émettaient une légère lumière. Oh non ! Sans le vouloir elle avait activé le début du sort ! Et comme elle ne le comprenait pas, elle ne pouvait ni le compléter, ni l’annuler. Cela pourrait être très dangereux. Si seulement quelqu’un pouvait l’aider !

Mais oui ! Bien sûr ! La voilà la solution ! Sa grand-mère devait savoir ce qu’il y avait dans ce sort ! Elle se prépara donc à faire ce que personne ne voudrait faire, sauf en cas d’urgence. Elle allait invoquer le fantôme de sa grand-mère.

Pour ne pas risquer d’abîmer la maison, elle installa le cercle d’invocation dans le jardin. Elle alluma les bougies, fit brûler de l’encens et prononça les mots magiques. Le ciel s’assombrit. Une fumée intense et sombre sortit du cercle magique. Un vent menaçant sembla se lever pendant une minute avant de tomber. Lorsque le vent cessa, tout bruit alentour cessa également. De la fumée émergea une silhouette. Grande, élancée, avec de longs cheveux blancs tombant sur ses épaules, une femme vêtue d’une longue robe noire usée apparu au milieu du cercle.

“Qui ose déranger mon repos éternel ?” s’enquit la femme d’une voix grave.

“C’est moi, grand-mère ! Je ne souhaitais pas te déranger, mais il y a urgence ! Le sort du monde pourrait en dépendre !” répondit la jeune sorcière.

“Oh tant que ca ? Le sort du monde ? Mais dans ce cas pourquoi appeler une vieille sorcière comme moi ?”

“C’est le grimoire grand-mère ! J’ai trouvé un sort caché dedans et j’ai commencé l’activation par mégarde. Je ne sais pas déchiffrer ce sort, je ne sais pas comment faire pour tout arrêter !”

“Un sort caché dis tu ? Mais de quoi parles tu ?”

Devant l’étonnement de sa grand-mère, la jeune sorcière lui montra la page du grimoire sur laquelle s’étalaient les signes luminescents. Le fantôme ouvrit de grands yeux et éclata de rire.

“Ahahahahahaha ! Le sort du monde ? Ahahahahahaha !”

Devant le regard perplexe de sa petite fille, la vieille sorcière prononça un ensemble de paroles mystiques inconnues. Le grimoire se mit à briller plus fort. Une bulle de lumière s’en échappa et se dirigea vers le fantôme. Elle s’arrêta entre les mains de la vieille sorcière et éclata, laissant entre ses doigts un petit carnet de cuir rouge.

“Ce sort me servait à cacher ceci !” dit-elle triomphalement.

“Mais qu’est-ce que c’est ? Un autre grimoire ?”

“Ahahah non pas du tout ! Il s’agit de mon journal intime ! J’ai inventé une langue rien qu’à moi et je l’ai caché avec une formule magique. Les signes sont juste une sorte de serrure.”

La jeune sorcière n’en croyait pas ses oreilles. Elle avait craint si fort une catastrophe et fait tellement de recherches ! Tout ça pour un journal !

“Et pourquoi avais tu scellé les pages ?”

“Ah je n’avais pas scellé les pages, j’ai dû juste faire tomber du miel dessus en écrivant… Une très mauvaise habitude que j’avais, ne fais pas pareil ! Bon, puisque le problème est résolu et que le sort du monde n’est pas en jeu, je vais y aller ! Et j’emporte ça hein, hors de question que je te laisse le lire !”

Avant que sa petite fille ne puisse répondre quoi que ce soit, le fantôme avait disparu, effaçant également le cercle sous ses pieds. Abasourdie, la jeune sorcière resta un long moment là, sans bouger, à regarder dans le vide.

Elle explosa soudain : “Plus jamais ça ! Tant pis pour la fin du monde, la prochaine fois je me contente de vérifier qu’il n’y a pas de miettes entre les pages et je teste le sort directement !”

Et elle retourna préparer sa soupe à la grimace.

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